Revue de web : MARTIGUES - L’ULTIME OUTRAGE AU DERNIER PONT-TOURNANT

L’ULTIME OUTRAGE AU DERNIER PONT-TOURNANT DE MARTIGUES

 

Article du 28 février dans le journal La Marseillaise

lire (et voir la photo) ; http://www.lamarseillaise.fr/societe-quartiers/l-ultime-outrage-au-dernier-pont-tournant-25908-2.html

 

Le Grand port maritime de Marseille a vendu en douce le mythique pont-tournant de Ferrières à un ferrailleur. Ni les Affaires culturelles ni la mairie n’ont été prévenues. 

Construit en 1860 par les Chantiers de la Méditerranée pour franchir le canal de Baussengue, démonté dans la controverse en 1998, abandonné depuis au bout d’un quai du canal de Caronte, le vieux pont-tournant de Ferrières a été détruit la semaine dernière, en douce, épilogue d’un immense gâchis patrimonial.
Sans avertir ni la commune de Martigues ni la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), le Grand port maritime de Marseille (GPMM) a livré ce vestige du patrimoine industriel du Second Empire à un ferrailleur. 

UNE 28 fev 2012
LM 28 fev 2012
 Le GPMM évoque « un simple souci de sécurité publique » 

L’ouvrage d’art unique déposé sur le quai Verminck a été disloqué en trois jours par MPO Demolition Recycling, un récupérateur de métaux de Sorgues. Conscient du caractère sensible de l’opération menée tambour battant, le responsable du chantier non balisé s’est violemment opposé jeudi à nos prises de vue. 
Le GPMM s’est fendu hier d’une déclaration des plus feutrées : « Le tablier était en ruine. Il était assez ancien et aurait pu dans l’absolu présenter un certain intérêt en terme d’histoire industrielle mais il était dans un état de dégradation tel, que seule sa destruction était envisageable dans un simple souci de sécurité publique, sans perspective d’aménagement du site », reconnaît Renaud Spazzi, directeur d’aménagement. 

« Il n’est pas exclu qu’on ait cédé à une offre alléchante. Le fer puddlé aciéré est un métal recherché. Alors imaginez 90 tonnes d’une densité exceptionnelle », surprend un technicien du port qui parle d’une cession de 200 euros la tonne. 90 tonnes de fer puddlé sur 50 mètres en profil curviligne faits de poutrelles assemblées avec les tout premiers rivets de l’industrie française : tout ceci faisait de cet ancien pont emblématique de Martigues le dernier représentant des ponts-tournants français, après la disparition de ceux de Brest, Sète et récemment Arenc, victime du projet Euroméditerranée. 

« Cette entreprise n’a été qu’un coûteux trompe-l’œil »
Avec son système rotatif en fonte posé sur un socle en pierre de taille, le pont avait fonctionné jusqu’en 1949. Point de passage obligé entre l’étang de Berre et la Méditerranée, les chars américains et les résistants communistes l’avaient franchi le 21 août 1944 pour libérer Martigues de l’occupant nazi. Il était devenu piétonnier jusqu'en 1975. Son platelage bitumé s’était par la suite délabré mais ses structures métalliques d’un seul tenant étaient restées intactes. 
En 1998, devant l’émoi suscité par des pétitions, une minutie extrême avait été requise pour sa dépose et son transfert sur deux barges. Son accueil au musée des travaux publics de Mallemort n’a jamais vu le jour. « Un vase de sèvres n’aurait pas été traité avec plus de soins et d’attentions », dira Bernard André, l’expert mandaté par le ministre de la Culture, et déjà dubitatif sur le caractère provisoire du déménagement. « Si la situation actuelle devait perdurer, on aurait le légitime sentiment que cette entreprise n’a été qu’un (coûteux) trompe-l’œil destiné à calmer ceux qui considèrent que le patrimoine technique à un sens pour notre société », écrivait-il, prémonitoire. A ses yeux, « l’intérêt patrimonial du pont ne fait aucun doute ». Il marque « une étape essentielle de l’histoire de Martigues fondée depuis les origines sur la question du franchissement de l’étang de Berre sur la mer ».
Un universitaire avait révélé sa valeur dès 1990 : « Il fait partie du patrimoine national dans ce musée en plein air des ponts mobiles » qu’est la petite Venise provençale. « Il serait regrettable que cette pièce de musée exceptionnelle ne soit pas classée ou à tout le moins protégée », soulignait Paul Planté. 

En quête du label « Ville d’art et d’histoire » 
Aux yeux même des services culturels de la commune de Martigues, qui n’en avait rien fait mais qui brigue pourtant le label « Ville d’art et d’histoire », il était « un des rares témoins de cette première époque de la révolution industrielle des voies de communication ». La Drac s’était toutefois heurtée à l’époque au refus de l’ancien maire, Paul Lombard, de voir classée cette « carcasse métallique » (sic). Un arrêté municipal de péril avait accéléré sa dépose en 1998. 
« Le temps a fait son affaire. On ne peut pas imposer sa protection contre la volonté de son propriétaire. Il y a déjà beaucoup de ponts classés le long de la Durance qui dépérissent », explique-t-on à la Drac, meurtrie d’avoir été placée devant le fait accompli d’une destruction irréversible. Démonté, l’ouvrage avait perdu de sa valeur originelle aux yeux de la Drac qui n’avait pas, et on peut le regretter, mené à terme l’examen de sa protection au titre des monuments historiques.

Le GPMM ne lui a pas laissé le temps d’étudier la moindre solution alternative alors même que ce pont reste inscrit sur la base Mérimée du ministère de la Culture pour son « intérêt patrimonial avéré ».


DAVID COQUILLE