Vendredi 24 février ; deuxième séance du séminaire « Industrie, patrimoine et culture »

« L’industrie, patrimoine et culture » 2012

Séminaire de recherche
Région Ile-de-France / Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Vendredi 24 février

14h30-17h30

Images

Région Île-de-France 33, rue Barbet de Jouy 75007 Paris
salle 100

Contact : Nicolas Pierrot - industrie-patrimoine-culture@iledefrance.fr - 01.53.85.75.04 1)

 


Images littéraires de l’industrie à Paris, de Balzac à Zola

Denis Woronoff, professeur émérite de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Pour élaborer une histoire culturelle de l’industrie en France au XIXe siècle, il ne suffit pas d’iconographie, même si c’est un élément essentiel du corpus des sources disponibles. Il est besoin aussi de textes, en particulier de la production littéraire, romans, pièces de théâtre, poésie. Dans ce domaine le retard de la recherche est grand. En dehors de l’ouvrage majeur de Jacques Noiray, (Le romancier et la machines, l’image de la machine dans le roman français (1850-1900), Paris, 1981), bien peu de spécialistes de la littérature et encore moins d’historiens se sont penchés sur cette documentation. Qu’attendre de celle-ci ? Non pas, sauf cas d’espèce, une information nouvelle sur l’industrie. Que dire de plus sur ce sujet que nous en offre les archives publiques et d’entreprises ou, s’agissant d’imprimés, Turgan pour les usines, Villermé, Poulot, Le Play, par exemple, pour les ouvriers ? En revanche, ces sources nous éclairent sur l’état de l’opinion bourgeoise qui se construit progressivement à l’égard des classes laborieuses. Surtout, elles nous parlent d’elles-mêmes. En termes de lieux de travail, de techniques et de travailleurs, que choisissent de montrer ces auteurs ? Qu’oublient-ils ou que masquent-ils ? Que nous dit cette première pesée ? Ici, la cible est l’industrie parisienne. Oublions donc La fortune de Gaspard, Germinal, La ville noire, Les cinq cents millions de la Begum ou l’Education sentimentale. Sous réserve d’une collecte plus minutieuse et plus profonde, le croisement de « Paris », décor ou acteur et d’ « industrie » délimite un ensemble pauvre. Il faudra essayer de comprendre pourquoi.

Malgré tout, il y a assez d’occurrences pour que le projet soit viable. Il faudrait commencer par situer les lieux et les hommes, c’est-à-dire les quartiers où l’on travaille et ceux, qui sont de moins en moins les mêmes, où ces travailleurs résident. Ce qui fait apparaître en fin de siècle la question de la banlieue. Il y a donc une mobilité quotidienne pour une fraction de la population active et par là des rues qu’on dira ouvrières, du fait de ces mouvements. De cela que retiennent nos auteurs ? A cette géographie dynamique s’ajoute la description des micro-paysages que l’industrie secrète, que capte et transmet l’auteur, ou pas. Le pas suivant nous fait entrer dans les lieux mêmes de l’industrie. La chambre, d’abord, qui demeure jusqu’au début du XXe siècle le principal endroit de la fabrique, l’atelier qui est déjà le rassemblement de forces productives et du travailler-ensemble, l’usine enfin où une classe ouvrière se constitue. Mais il s’agirait seulement de décor si les écrivains concernés n’y mettaient la vie, des hommes ou des femmes en activité appliquant des savoirs pratiques, des outils et finalement des machines. Il y a là aussi bien matière à description héroïque ou au moins positive qu’à dénigrement et à inquiétude. Enfin viennent les travailleurs, dont on devine déjà qu’ils sont, là où le roman de l’industrie existe, la cible préférée des auteurs. On pourra inclure à cet endroit ceux que l’on dit tardivement patrons, après les avoir longtemps appelés fabricants. D’ailleurs un bon nombre d’entre eux sont d’anciens ouvriers. Quelles images en donne- t-on ? Sont-ils d’emblée présentés pour eux-mêmes ou ne nous offre-t-on que la vision qu’ont d’eux leurs salariés ? Reste le groupe hétérogène des ouvriers. Les femmes y jouent un rôle majeur, surtout au début de la période. Du point de vue des écrivains ne sont-elles pas les plus intéressantes, entrant en industrie à leurs risques et périls, à corps perdu pourrait-on dire ? Pour les hommes, la palette est large des positions et des évolutions individuelles. Est-il bon, est-il méchant ? Le mauvais ouvrier, dans tous les sens du terme, est en soi une menace, pour sa famille et pour la société. Comment se fait chez les auteurs et leurs lecteurs le partage entre la peur et la pitié ?


2) Les images de l’industrie naissante à Paris et ses environs (XVIIIe-XIXe siècles) Nicolas Pierrot, Région Île-de-France, service Patrimoines et Inventaire / Université Paris I

Panthéon-Sorbonne, EA 127 - Centre d’Histoire des techniques

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Adolphe Maugendre (del.), Auguste Bry (lith.)

Usine du blanc de zinc au pont d’Asnières

Album des usines et établissements de la Société anonyme des mines et fonderies de la Vieille Montagne Chromolithographie, 23,5 x 37,5 cm, 1855
Collection particulière

Paris : foyer de résistance, de « réaction esthétique à l’industrialisation » (Klaus Herding) ? L’affirmation sonne juste. Elle semble relayer, en proposant de l’expliquer, le désespoir du curieux devant les cimaises de nos musées, devant les pages de nos « histoires de l’art » : en vain y trouvera-t-on, ou si rarement, les expressions plastiques – paysages industriels et intérieurs d’usines – interprétant les formes concrètes de la première industrialisation (1780-1880), singulièrement à Paris et ses environs. Il faut attendre les années 1870, avec ces paysages de banlieue offerts par les impressionnistes, avec ces ouvriers « républicains » de la seconde génération réaliste, pour que s’amenuise l’aura du courant romantique et « misotechnique » (Jacques Noiray), fondé sur l’« aversion instinctive des poètes et des artistes pour les merveilles de la civilisation » (Théophile Gautier, 1844).

Pourquoi, dès lors, rouvrir le dossier ? En premier lieu, parce qu’un inventaire attentif permet d’exhumer des contre-exemples. En second lieu, parce que l’attention traditionnelle portée aux seules peintures et dessins distingués pour leurs qualités esthétiques, a rejeté dans l’ombre les « images courantes » – quelques toiles et dessins, de nombreuses lithographies et gravures d’illustration – qui seules permettent de distinguer, en contrepoint de la littérature par exemple, les tensions d’un XIXe siècle tiraillé entre l’enthousiasme, la foi industrialiste et le refus de l’industrialisation. Enfin, parce que la construction de ce nouveau corpus rencontre aujourd’hui la réévaluation, par l’historiographie, du rôle de Paris dans l’industrialisation européenne, dès la fin du XVIIIe siècle. Cette convergence invite à étudier le rôle et la force propre des images – toujours plus nombreuses et diversifiées – dans l’élaboration des discours accompagnant, justifiant ou – très rarement – rejetant le développement de l’industrie au cœur et en périphérie de la capitale. On voudrait approcher, par ce biais, les premiers éléments d’un débat mobilisant valeurs et intérêts antagonistes. Un débat porté d’emblée dans le champ culturel et esthétique.


3) Naissance de la « photographie industrielle » : regards sur l’industrie du chocolat à Paris et ses environs

Céline Assegond, doctorante à l’Ecole du Louvre

Anonyme

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Atelier de pesage et de moulage de la chocolaterie Menier

(Noisiel, Seine-et-Marne) s.d.

Lombart Mesiere

Album Ernest Mésière Société du chocolat Lombart (Paris) s.d. [v. 1914] Collection particulère


Dans le dernier quart du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle, le marché de la photographie industrielle s’élargit considérablement. La photographie d’usine rejoint le marché déjà bien établi de la photographie de chantier et conquiert progressivement une place de choix aux côtés des autres images de l’industrie. Son usage se renforce au moment où les procédés photographiques se simplifient et où la mise au point de nouvelles techniques d’impression permet une diffusion à plus grande échelle.

Les images de l’industrie du chocolat, activité alors en plein essor, sont à ce titre, exemplaires. A Paris et ses environs, des petits ateliers côtoient de grandes usines modèles, parmi lesquelles figurent la Chocolaterie Menier à Noisiel, la Chocolaterie Lombart située au cœur de Paris ou encore la Chocolaterie Meunier Frères à Levallois-Perret.

Comment la photographie s’est-elle imposée pour faire la promotion de cette branche ? Comment les photographes, en utilisant les techniques mises à leur disposition, ont-ils répondu et se sont-ils adaptés aux besoins des entrepreneurs ? L’analyse des images produites - des premières vues photographiques panoramiques d’H.-C. Godefroy aux albums imprimés d’Ernest Mésière en passant par la série « Les grandes usines de France » de Gabriel Gorce - apporte des éléments de réponse.

A travers les exemples présentés, nous nous attacherons à montrer l’évolution des techniques photographiques durant cette période, la diversification des usages et des supports, et à mettre en évidence les principaux codes de représentation du travail usinier.