Coup de projecteur de la Cour des comptes sur le site de Tellure (1 commentaire)
S'il y avait un lieu où l'on pouvait penser que la valorisation culturelle et touristique du patrimoine industriel pouvait fonctionner, c'était bien là : Sainte-Marie-aux-Mines et le Val d'Argent. Or le coup de projecteur de la Cour est inquiétant à plusieurs titres : d'une part sur le processus de mise en place d'un outil de valorisation (Tellure), d'autre part sur la viabilité à terme des des équipements en zone rurale.
Quelques repères
Le site web de Tellure : http://www.tellure.fr/ Le Val d'Argent (communauté de communes) : http://www.valdargent.com/
Présentation : Serti dans son écrin de verdure, le site se veut d’offrir une vision contemporaine, ludique et interactive de l’épopée minière du filon d’argent dans la Vallée de Sainte-Marie-aux-Mines.
Que dit la Cour des Comptes (synthèse en ligne)
Le parc minier Tellure du Val d’Argent (Haut-Rhin) : un échec annoncé
Soutenu par la communauté de communes du Val d’Argent dans le Haut-Rhin, le parc minier Tellure a vu le jour au printemps 2009.
Ce projet devait contribuer à redynamiser la vallée autour de l’ancien site de mines argentifères de Sainte-Marie- aux-Mines, en favorisant le développement touristique sur un territoire économiquement sinistré à la suite du déclin de l’industrie textile.
Un projet non viable dès l’origine
L’échec du parc minier Tellure s’explique, avant tout, par les erreurs d’appréciation dont a fait preuve la communauté de communes du Val d’Argent. Son souci de revivifier un territoire en déclin économique l’a conduite à s’engager dans des investissements mal assurés tant du point de vue de leur intérêt socio-économique que de leur équilibre d’exploitation.
L’analyse de cet échec met en évidence également le rôle des autres autorités publiques parties prenantes, notamment l’Etat, la région Alsace et le département du Haut-Rhin, qui ont subventionné le projet sans s’interroger suffisamment sur sa viabilité économique.
Pour un équipement financé aux deux tiers par l’Etat, l’Union européenne, la région Alsace et le département du Haut-Rhin, la communauté de communes du Val d’Argent retire de son exploitation des recettes annuelles légèrement supérieures à 1 % du montant de l’investissement, sans paiement de loyer ni amortissement de l’équipement réalisé.
Des conditions de mise en exploitation aggravantes
Le déficit initial résultant d’une gestion incohérente et négligente ne peut être résorbé malgré les efforts entrepris. Depuis son ouverture, la fréquentation a été très inférieure aux prévisions. Une exploitation équilibrée couvrant toutes les charges reste aujourd’hui hors de portée.
L’éclatement des structures et l’absence de fédération des associations locales constituent aujourd’hui encore autant de freins au développement du parc minier Tellure.
En définitive, le parc hypothèque significativement et durablement les finances de la communauté de communes du Val d’Argent et de son office de tourisme.
Recommandations
A l’attention de la communauté de communes :
faire un audit d’ensemble, financier, technique et commercial, afin d’identifier les charges à venir pour la communauté de communes du Val d’Argent ;
prendre une décision raisonnée, sans exclure l’hypothèse d’une fermeture complète ;
si la poursuite de l’activité est décidée, définir précisément les conditions de mise en œuvre, notamment au plan juridique, financier et comptable, à partir d’un budget prévisionnel sincère et d’un plan de financement solide.
De façon générale, les collectivités territoriales doivent s’assurer de la viabilité économique des projets sur lesquels elles engagent des financements publics.
Une information sur les conditions d’exploitation future de l’équipement projeté et un compte d’exploitation prévisionnel devraient être exigés à l’appui de tout dossier porté par une personne publique, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une activité touristique et de loisirs.
Cette recommandation vaut tout autant pour les collectivités territoriales qui financent des projets sans en assurer la maîtrise d’ouvrage et l’exploitation, autrement dit les risques.
lire le rapport détaillé sur cette opération en téléchargeant le document pdf http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/Parc_minier_tellure_val_d_argent.pdf
Qu'en dire ?
1/ Ce lieu est l'un des nombreux (?) sites miniers des Vosges. C'est le seul à avoir été transformé en site "ludique et interactif". Les autres sont plus modestes, souvent animés par des associations et sont orientés "découverte in situ". Rappelons la liste que nous avons trouvée sur le site web du massif des Vosges :
- Mine d'Argent Saint-Barthélemy
- Mine d'Argent Saint-Louis-Eisenthur
- Mine Gabe Gottes
- Mine de Fer du Framont - GRANDFONTAINE
- Mine Théophile
- La Croix aux Mines
- Les Hautes-Mynes
On pourrait opposer le militantisme associatif (certainement plus pauvre) et les réalisations dites "ludiques" censées séduire une clientèle qui cherche à découvrir une histoire, s'amuser comme dans un parc d'attraction (où le maître mot est "interactif"). Cette opposition demande à être affinée (et nous n'avons pas les informations pour en juger) : les pauvres, certaienement, aimeraient bien avoir des moyens, les réalisations ludiques perdent peut-être l'authenticité qui est cependant de plus en plus recherchée. Nous ne savons pas ce qu'en pensent les visiteurs des différents sites.
Ces sites fonctionnenent-ils en réseau ? Avec renvois mutuels d'un lieu à l'autre, avec un pass permettant d'alléger les prix des visites tout en montrant les complémentarités de cette activité vosgienne qui fut si importante.
2/ La Cour des comptes pointe les vices de construction du projet (long à accoucher) et du site : l'investissement semble particulièrement lourd : 13 millions d'euros. Surtout, les prévisions de fréquentation et de rentabilité ont été audacieusement gonflées : la base de 150 000, voire 200 000 visiteurs, est irréaliste. Même celle de 50 000 avancée par des professionnels (qui annonçaient le manque de viabilité) est encore optimiste. Pourtant les Vosges sont une région touristique (même si c'est le tourisme vert qui est dominant).
Les aléas de la gestion viennent aggraver la situation que détaille la Cour dans son rapport détaillé : fréquentation incertaine, guides payés à l'année pour des activités saisonnières...
3/ Plus au fond, est-il possible d'imaginer que des équipements culturels, touristiques, fondés sur l'intelligence du visiteur (moins de ludique, plus d'authenticité) sont viables en zone rurale, loin des grandes métropoles ? Le monde de la culture se scinde en deux univers très différenciés : les grandes locomotives qui sont de plus en plus des franchises (Louvre, Pompidou, Guggenheim... bientôt Orsay?) qui écrasent les sites de moyenne importance, les musées de province qui sont à la peine... et en face des sites utiles à l'animation et à la connaissance des territoires : ils ne seront jamais rentable. Conclusion, il faut assumer les déficits ou ne pas les lancer.
L'affaire de Tellure n'est certainement pas la seule. Les comptes d'exploitation prévisionnels sont souvent des outils configurés sur mesure pour ne pas faire peur aux subventionneurs. La Cour des comptes émet des recommandations qui vont servir d'argument aux élus territoriaux pour bloquer des projets. Le patrimoine industriel, en zone rurale, est mal parti...
Commentaire reçu : Posted by Ian Cowburn : le projet Tellure était plombé dès le début...
The Tellure project was doomed from the start. Exclusively imagined by (expensive) Paris-based private consultants, with a strongly-expressed local political will to realise it whatever it might cost and whatever far-fetched constructions it might imply (a dome over the access valley, among others), and with the strong local mining archaeology enthusiast base disaffected from the project and among themselves, it met none of the criteria I set out in my paper available on the site here. I do speak from experience as having set up the Fournel Silver Mines project here at L'Argentière, with "in-house" expertise, organic growth rather than "once and for all" construction, and camembert-like slicing of the project to aim the different slices at as many funding sources as possible, notably trans-border Interreg funding with a solid Italian partner (the frontier is 30 kms away).
So, yes it is possible to valorise industrial heritage away from the big cities, as long as one sticks to tried and tested local development practice and adapts one's pattern to fit one's cloth....
Lire (en anglais) le texte proposé en 2000 par Ian Cowburn par ce lien...
http://independent.academia.edu/IanCowburn/Papers/305993/Mining_Archaeology_Conservation_Research_and_Interpretation_Policy_In_France