Revue de presse canadienne : Une bougie d'allumage pour Shawinigan
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(Shawinigan) On assiste depuis quelques années dans la région au sauvetage de vieux immeubles industriels ou religieux. Si certains sont plus ou moins réussis, d'autres sont spectaculaires. On dit qu'il faut être un peu fou pour se lancer dans ce genre d'aventure immobilière, car faire du neuf avec du vieux est une opération qui réserve souvent de mauvaises surprises, sans compter que ces constructions parfois centenaires doivent répondre aux normes actuelles du code du bâtiment. Au petit brin de folie, on doit donc aussi ajouter une solide expérience et un bon sens des affaires, sinon c'est le gouffre financier qui attend le promoteur. Le Nouvelliste vous présente quatre grands sauvetages réussis. Quatre immeubles (et même un complexe industriel entier) sauvés de la démolition pour le plus grand plaisir des Mauriciens, car ils demeureront encore pour une centaine d'années dans le patrimoine immobilier régional.
«La tour de la Cité de l'énergie fut la bougie d'allumage du nouveau Shawinigan! C'est ce qui a donné aux Shawiniganais la fierté de vouloir entreprendre.»
Robert Trudel, créateur et directeur général de ce complexe consacré à la conservation du patrimoine industriel, en est convaincu. Tout (ou presque) ce qui est apparu ces dernières années sur la Promenade Saint-Maurice est une retombée de la Cité de l'énergie, ce nouveau pôle culturel né de la récupération et de la réfection d'une ancienne aluminerie et de la centrale de Northern Aluminium Company (1901) ainsi que des vestiges de la centrale Alcan 16.
Il faut dire au départ que Robert Trudel n'a pas rénové qu'un immeuble ni même tout un complexe, il a aussi sauvé in extremis de la démolition une tour d'Hydro-Québec qu'il a déménagée sur l'île Melville et qui, depuis, est devenue l'emblème de la nouvelle Shawinigan. Faire du neuf avec du vieux, il connaît!
«Au début, je voulais construire une tour, du genre de celle d'Expo 67, avec un anneau qui monte et descend. Mais à force de tergiverser, les deux paliers de gouvernement ont laissé le temps filer et la tour qui devait coûter 3 millions $ atteignait 6 millions $. Bien sûr, ce fut finalement une fin de non-recevoir. Ici, c'était le découragement total. C'est à ce moment qu'on a entendu parler de la démolition de deux pylônes, situés sur deux îles en plein milieu du fleuve, reliquat de la bataille de Grondines On était en train de les démonter pour vendre l'acier à Dominion Bridge.»
(N.D.L.R. Dans les années 80, un groupe citoyen s'était opposé avec succès, au nom du patrimoine naturel, à ce que des fils d'Hydro-Québec traversent le fleuve à cet endroit d'une beauté exceptionnelle. On a donc creusé un tunnel. Les deux tours étaient des structures temporaires.)
Robert Trudel débarque sur le chantier et y trouve une tour complètement démontée. La seconde avait déjà été ramenée de 450 pieds à 350 pieds. «C'était environ la hauteur que nous désirions. Alors, j'ai fait des pieds et des mains pour contacter le président et chef de direction d'Hydro-Québec, Richard Drouin, et j'ai fait cesser les travaux.»
Des négociations fructueuses ont suivi pour compenser Dominion Bridge. La tour fut alors déboulonnée, numérotée, mise sur une plate-forme et livrée à Shawinigan... sans même savoir encore exactement où elle serait installée. «Un projet complètement fou», au dire de plusieurs.
«L'emplacement était notre préoccupation», avoue Robert Trudel, qui voulait d'abord ériger la structure métallique au-dessus d'une route! Sur les conseils de spécialistes, on décide finalement de la remonter sur l'île Melville en 1996.
«Elle est vraiment à sa place dans ce vaste paysage ouvert sur l'horizon. Elle est immense mais ici, elle paraît petite. Et le soir, quand elle est éclairée, elle est encore plus belle. À Shawinigan, ça a fait wow! On a bien vu par la suite qu'on l'avait placée au bon endroit, car cela a permis l'aménagement du Centre de sciences et du théâtre. La tour de la Cité de l'énergie, c'est notre première grande histoire de récupération», conclut-il fièrement.
La seconde est tout aussi impressionnante. Depuis 1986, Robert Trudel travaillait à récupérer l'ancienne aluminerie de Shawinigan, un projet qui lui trotte dans la tête depuis 1979, mais qui fut rejeté du revers de la main par l'administration municipale de l'époque. Il faudra attendre l'élection de Roland Desaulniers en 1986 pour obtenir le feu vert.
Modestement, l'homme d'affaires précise que l'idée de rénover le site industriel n'est pas vraiment de lui mais d'un ancien vice-président de la Shawinigan Water and Power des années 40 qui, déjà, avait songé à créer un jour un musée de l'électricité sur le même emplacement.
«Sur le papier, le premier projet comprenait dans son ensemble les usines Alcan en phase de fermeture avec leurs sept bâtiments, plus le bureau chef. Mais les députés du temps (1986-87) ne croyaient pas à notre projet. Et avec le recul, je peux comprendre car, dans les mêmes années, il y avait eu le Cosmodôme, le Musée juste pour rire et le Musée des arts et traditions de Trois-Rivières qui tous ont connu de graves difficultés financières et d'opération. D'où le moratoire. Alors moi, le ti-cul de Shawinigan, qui soi-disant ne connaissait rien à la culture et qui arrivait avec un projet culturel qui se voulait rentable et opérable, personne n'y croyait. C'est pour cela qu'il a fallu encore 10 ans.»
Aujourd'hui, la Cité de l'énergie a réussi à récupérer six bâtiments de l'Alcan (cédés en 2001 avec une subvention d'un million $) et poursuit les démarches pour mettre la main sur un autre immeuble (AL 15), laissé à la Belgo, maintenant propriété d'Artic Béluga.
La première grande exposition verra le jour grâce à un concours de circonstances dont Robert Trudel a le secret et un petit coup de pouce d'un ex-premier ministre.
C'est en effet en détournant de leur visite à l'église de Notre-Dame-de-la-Visitation (Shawinigan-Sud) les directeurs du Musée des beaux-arts du Canada et du Musée Rodin en France, pour les amener voir l'immense salle en brique rouge de l'ancienne aluminerie, que le déclic se fera. Pour les deux hommes, ce fut le coup de foudre. Le Musée des beaux-arts signe ensuite une entente, faisant de la Cité de l'énergie une sorte de succursale, ce qui y amènera de prestigieuses collections.
Mais se pose bien sûr d'abord la question de la rénovation, que Robert Trudel contourne en faisant reconnaître officiellement le site comme monument national historique par Parcs Canada. «Ça ne donne pas un sou mais ça ouvre des portes pour accéder à des programmes.» On nettoie ensuite le site en collaboration avec tous les ministères impliqués, ce qui selon M. Trudel fut la clé du succès.
«On n'a pas fait de mauvaises surprises, note-il, parce que nous avions fait une étude de caractérisation. Nous sommes alors devenus admissibles à des subventions. Après 52 millions $ d'investissement sur le site et de «rénovations respectueuses», nous n'avons pas un sou de dette. On n'a jamais dépassé les coûts de construction, ni fait de déficit.»