Geneviève DUFRESNE, Représentante nationale française auprès de TICCIH - Vice présidente du CILAC
Ce rapport, initialement rédigé en anglais et publié sous le titre «National Report for France», à l’occasion du XIIIe congrès de TICCIH (1) était destiné à des lecteurs étrangers, majoritairement peu familiarisés avec la géographie de la France, son histoire (industrielle, architecturale, etc.) et ses structures (notamment administratives). Cela explique le caractère parfois élémentaire des informations rapportées et des détails qui auraient été inutiles pour nos seuls lecteurs habituels. La rédaction a cru cependant nécessaire de publier ce rapport en l’état car il correspond bien à la vocation de notre revue : rendre compte des actions conduites en France pour la sauvegarde du patrimoine industriel.
Si l’on tente de dresser un bilan de l’état du patrimoine industriel en France depuis ces dernières années, on est frappé par l’engouement qui semble avoir saisi à la fois les décideurs, les chercheurs, les architectes, les journalistes et le public. On ne compte plus les colloques, les ouvrages, les articles, les numéros spéciaux de revues diverses sur ce thème. Cela veut-il dire que la partie est gagnée ? Il est peut-être trop tôt pour se réjouir totalement mais, au nom de tous ceux qui ont «milité» depuis des années et qui avaient parfois l’impression de prêcher dans le désert, nous devons constater les progrès accomplis. Néanmoins, il reste beaucoup à faire et le temps presse plus que jamais pour sauver ce qui peut l’être encore. Notre optimisme s’appuie sur plusieurs éléments.
LE DEVELOPPEMENT DES ETUDES SUR LE PATRIMOINE INDUSTRIEL
L’inventaire du patrimoine industriel
Le service de l’Inventaire du ministère de la Culture (responsables de l’identification du patrimoine «classique»), est chargé du repérage sur le terrain et de l’étude des sites industriels anciens. En 1986, une cellule avait été créée au ministère pour réaliser un inventaire systématique et exhaustif du patrimoine industriel. Bien qu’étant loin d’être terminé, cet inventaire a bien avancé. On peut considérer aujourd’hui qu’une quarantaine de départements ont été étudiés ou sont en voie d’être inventoriés (sur 95). Les notices rédigées par les chercheurs des services régionaux de l’Inventaire ont été, au fur et à mesure, intégrées dans les bases de données nationales du ministère de la Culture (Mériméepour les bâtiments et Palissy pour les machines).Celles-ci peuvent être facilement consultées sur le site web du ministère de la culture (www.culture.fr).
Dans quelques régions, en partenariat avec des collectivités locales, d’autres campagnes d’inventaire ont été menées par exemple dans les villes de Lyon et de Saint-Quentin (Aisne) ainsi que dans le département de la Nièvre, pour la métallurgie.
Le service de l’Inventaire poursuit la publication des ouvrages et des guides qui sont aussi attractifs que bien informés. Ces publications appartiennent à diverses collections (Les indicateurs du patrimoine, Les images du patrimoine et Les cahiers du patrimoine. La liste des titres est consultable sur le site web du ministèrei.
Depuis 2004, cependant, une loi a décidé de décentraliser le service de l’inventaire. Désormais, chaque région - il y a 26 régions en France y compris les départements d’outre-mer - sera responsable à partir du 1er janvier 2007 de son propre inventaire. Il s’agit d’un changement radical et, du point de vue de la cohérence de l’étude du patrimoine national, cela laisse présager des conséquences qui ne sont pas vraiment rassurantes, car certaines régions sont plus sensibilisées au patrimoine industriel que d’autres.
Le développement des programmes d’enseignement
Certaines universités et écoles d’architectures ont développé récemment des programmes d’enseignement proposant une formation aux métiers du patrimoineindustriel :
- Université de Bourgogne (Antenne de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau) : master Métiers de l’art, de la culture et du patrimoine- spécialité «Gestion et valorisation du patrimoine industriel». Cette formation permet d’acquérir les principaux savoirs théoriques et «savoir-faire» nécessaires à la réalisation et au suivi de projets de gestion du patrimoine industriel.
- Université de Technologie de Belfort-Montbéliard, en collaboration avec celles de Franche-Comté, de Haute-Alsace et les universités suisses de Neuchâtel et de Fribourg : dans le cadre d’un master recherche «Histoire des économies et des sociétés industrielles ». Cette formation pluridisciplinaire comporte une dimension professionnelle, notamment dans le domaine de la conservation du patrimoine industriel et technique.
- Université d’Artois, dans le cadre d’un master «Constructions et dynamiques des espaces, des sociétés et des économies», un master II professionnel «Mise en valeur et gestion du patrimoine technique, scientifique et industriel».
- Conservatoire national des arts et métiers de Paris (CNAM) : un Bachelor «Communication, valorisation, muséologie en patrimoine industriel scientifique et technique»
- Ecole d’architecture de Normandie et à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles : des modules spécialisés.
L’ACTION DES ASSOCIATIONS DE PATRIMOINE INDUSTRIEL
Le CILAC (Comité d’information et de liaison pour l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel) www.cilac.com
Le CILAC a été créé en 1979 pour promouvoir l'étude, la conservation et la mise en valeur du patrimoine industriel en France. A travers sa revue, L'Archéologie industrielle en France, (deux parutions par an), seule revue francophone entièrement consacrée au patrimoine de l'industrie, le CILAC favorise les échanges entre les différents acteurs, rassemble et diffuse les informations sur les multiples expériences de sauvegarde, de réhabilitation et d'animation tant en France qu'à l'étranger. Imprimée en quadrichromie, très bien illustrée, L'AIF est une revue scientifique de référence soutenue par le ministère de la Culture (diffusion par abonnement seulement)ii. Deux numéros spéciaux ont été publiés ces deux dernières années, l’un sur le patrimoine de la soie (n°44, juin 2004), l’autre sur l’industrie du papier (n°47, décembre 2005). Un numéro prochain (n° 49, décembre 2006) est prévu concernant la réaffectation des sites industriels.
Le CILAC a organisé en 2004, un colloque national au Creusot, ville qui fut l’un des principaux centres industriels de l’Europe de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle. Elle fut également le lieu de naissance en France de l’archéologie industrielle. Cette manifestation du Creusot célébrait les 30 ans de l’archéologie industrielle en France en même temps que les 25 ans du CILAC !
250 participants ont été au rendez-vous de cette manifestation : professeurs d’universités, professionnels du patrimoine travaillant pour les musées ou pour les services de l’Inventaire, architectes, membres d’associations locales ainsi que de jeunes diplômés des différents programmes de formation aux métiers du patrimoine industriel. Environ 40 communicants, parmi lesquels de grands noms venus de l’étranger (Sir Neil Cossons, président d’English Heritage, Lorna Davidson de New Lanarck (Ecosse), Rainer Slotta du Bergbau-museum de Bochum (Allemagne), Giovanni Luigi Fontana professeur à l’université de Padoue, Freddy Joris de l’Institut du patrimoine wallon (Belgique) et Eusebi Casanelles, président de TICCIH.
Les trois premières sessions furent consacrées aux divers territoires de l’industrie et une quatrième à l’enseignement du patrimoine industriel, en particulier dans l’enseignement secondaire. Les cinquième et sixième sessions traitèrent de la réhabilitation et de la conversion de grands sites industriels lors de débats entre spécialistes français, architectes (Alexandre Chemetoff, Eric Castaldi, Philippe Robert), conservateurs de musées ou membres de grandes associations. […]
Les actes de ce colloque ont été publiés dans le n°45 de L’Archéologie industrielle en France en décembre 2004.
En mars 2006, le CILAC a élu un nouveau président : Bertrand Lemoine, ingénieur architecte, reconnu comme spécialiste d’histoire de l’architecture et de l’architecture métallique. Nouveau directeur de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, il est l’auteur de plus de 30 ouvrages.
Les associations régionales
- APIC : Association pour le patrimoine industriel de Champagne-Ardenne
Créée en 1997, dans le nord-est de la France par Gracia Dorel-Ferré pour étudier le patrimoine industriel de Champagne-Ardenne, cette association régionale est maintenant bien connue en France pour ses congrès, ses formations pour les enseignants du primaire et du secondaire et pour l’organisation de voyages de découverte du patrimoine industriel de différents pays. Cette association a publié depuis 1998, plusieurs actes de congrès et en 2005 un «Atlas du patrimoine industriel de Champagne-Ardenne», très complet, magnifiquement illustréiii. Elle organisera en 2007, sous l’égide de TICCIH, la première conférence internationale consacrée au patrimoine de l’agro-alimentaire (Reims 3-5mai)et la troisième rencontre de la section textile de TICCIH (Sedan et Mouzon 31 mai-2 juin). www.patrimoineindustriel-apic.com
-APHID : Association pour le patrimoine et l’histoire de l’industrie en Dauphiné :
Cette association organise régulièrement des rencontres sur le patrimoine industriel de la région de Grenoble et publie des ouvrages de référence.
- Entreprise et patrimoine industriel : cette association, créée pour étudier et mettre en valeur le patrimoine industriel dans la région de Nantes publie «Les cahiers du patrimoine industriel de Nantes et sa région».
-APCM : Association de promotion de la Cité des matières. Cette association, créée en 2001 en Haute Normandie pour mener à bien le projet d’un parc scientifique sur le développement durable et écologie industrielle est installée dans une ancienne abbaye cistercienne à Cruchet-en-Valasse près du Havre. Elle a fondé un pôle textile régional qui possède une très riche collection d’échantillons des anciennes industries textiles de Normandie, toutes fermées aujourd’hui. www.lacitedesmatières.com
- ASPPIV : Association pour la sauvegarde et la protection du patrimoine industriel du Vaucluse
Créée en 1983 pour étudier l’histoire industrielle du département du Vaucluse, cette association a publié de nombreux ouvrages et 34 « Cahiers» de 1984 à 2005. Elle est également très active dans le domaine du tourisme industriel et du développement de «Routes du patrimoine industriel» dans ce département. www.cedia-fr.com/asppiv
CERPI : Centre d’étude et de recherche sur le patrimoine industriel du Pays de Gier.
Créé en 1983 et installée dans une ancienne usine de Saint-Chamond (la teinturerie Gillet) cette association a pour but de développer l’étude du patrimoine industriel et de la culture technique de la région de Saint-Etienne et de la faire découvrir aux générations présentes et futures.
-AMHI : Association pour un musée de l’homme et de l’industrie (Haute-Normandie)
Cette association, fondée en 1980 dans le but de sauvegarder la Corderie Vallois (Notre-Dame-de-Bondeville) poursuit ses actions pour la sauvegarde et la protection de sites industriels de la région rouennaise. Présidée jusqu'en 1993 par Serge Chassagne, puis par Alain Alexandre, l'AMHI appartient à la génération des associations pionnières du patrimoine industriel.
-MIP/Provence : mémoire, industrie & patrimoine en Provence.
Constituée en 1995, pour l’étude, la valorisation de l’histoire, de la mémoire du travail du patrimoine industriel en Provence, cette association rassemble des enseignants de l’école élémentaire à l’université, ainsi que tous ceux qui sont intéressés par le patrimoine industriel de la région. Présidée par Philippe Mioche, elle a une centaine de membres et publie une revue Industries en Provence, dynamiques d’ hier et d’aujourd’hui. Largement diffusée, cette revue a déjà publié 13 numéros sur des sujets variés (le centenaire de l’usine Solvay de Salin-de-Giraud, la sidérurgie provençale, l’industrie marseillaise, le patrimoine industriel de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, etc.) Le prochain numéro sera consacré à l’industrie agro-alimentaire. Depuis janvier 2004, cette association publie aussi une lettre électronique qui est disponible sur son site web.www.mip-provence.org
- Aubois de Terres et de Feux, association du département du Cher qui, à la suite d’une étude systématique du patrimoine industriel de la vallée de l’Aubois, menée dans les années 1990, par Patrick Léon, est à l’origine d’un vaste projet de développement local. Ce projet, réunissant une cinquantaine de communes et bénéficiant d’un financement important (département, région Centre et fonds européens) a pour objectif la sauvegarde et la mise en valeur d’un réseau de sites du Pays Loire-Val d’Aubois, parmi lesquels l’usine sidérurgique et la tuilerie-briqueterie de Grossouvre.
D’autres associations
-Fondation automobile Marius Berliet
Créée en 1982 par les descendants du constructeur lyonnais Marius Berliet et par Renault Véhicules industriels, la Fondation s’est donné deux objectifs : la sauvegarde et la valorisation de l’automobile de la région lyonnaise et de l’histoire du camion de marque française. Son siège social est hébergé dans l’ancienne demeure de Marius Berliet, un des rares témoins de l’Art Nouveau à Lyon.
Le patrimoine de la Fondation est constitué par des fonds d’archives exceptionnels et une collection unique en France de 240 véhicules magnifiquement restaurés ainsi qu’une centaine de moteurs (de 1886 à nos jours). La Fondation publie une régulièrement une Lettre et possède un site web. www.fondationberliet.org
-Patrimoine et mémoire d’entreprises :
Créé en 2001, cette association rassemble des sociétés et des entreprises décidées à promouvoir le patrimoine industriel et technique, à partager leurs propres expériences dans ce domaine et à étudier et améliorer les législations sur la protection et la réhabilitation. Il s’agit d’une initiative très intéressante car l’on peut souvent déplorer le fait que les représentants du monde de l’industrie (ou du monde du travail en général) soient absents des recherches et des discussions sur ce thème. www.patrimoine-et-memoire.com
LES NOUVEAUX SITES PROTEGES AU TITRE DE LA LEGISLATION DES MONUMENTS HISTORIQUES
Il existe en France deux types de protection au titre de la législation sur les monuments historiques : le classement (protection lourde) ou l’inscription à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques (protection légère). Le nombre total de sites protégés aujourd’hui est d’environ 43 000 parmi lesquels moins de 1 000 peuvent être considérés comme «monuments» industriels. Environ 600 sites sont protégés chaque année mais seulement une quinzaine concerne le patrimoine industriel. Durant les six dernières années, environ 90 sites ont été protégés parmi lesquels seulement 13 ont été classés.Les notices concernant tous les monuments protégés en France peuvent être consultées sur la base de données Mérimée accessible sur le site du ministère de la Culture.
[…] Les lecteursde l’AIF pourront se reporter aux numéros datés du mois de juin qui, depuis de nombreuses années, recensent les sites inscrits et classés l’année qui précède, tels qu’ils sont mentionnés dans le Journal officiel.
REHABILITATION ET RECONVERSION DE SITES INDUSTRIEL EN FRANCE, QUELQUES EXEMPLES
Le choix des exemples est délicat étant donné le nombre important de sites intéressants, nous pouvons néanmoins proposer un choix personnel de quelques exemples qui permettront d’avoir une idée sur ce qui se passe actuellement en France dans ce domaine.
Elbeuf (Seine-Maritime)
Situé au bord de la Seine près de Rouen, Elbeuf est aujourd’hui une petite ville de 16 000 habitants, célèbre pour son ancienne industrie lainière et pour son patrimoine industriel particulièrement riche. Il est important d’expliquer brièvement le développement de cette activité industrielle ancienne. La production de tissus de laine à Elbeuf remonte au début du XVIe siècle, il s’agissait alors d’une activité artisanale. Sous Louis XIV, Colbert créa la manufacture royale des draps d’Elbeuf qui, à la fin du XVIIe siècle, employait environ 42 maîtres fabricants et 8 000 ouvriers dans la ville même et dans ses environs. Au XVIIIe siècle la production s’organisa : la filature se faisait à la campagne tandis que le tissage et les finitions se concentraient dans la ville. A la fin de ce siècle, 20 000 personnes environ travaillaient pour la manufacture royale.
A partir de 1830, avec l’arrivée de la vapeur, de nouvelles usines de très grande taille furent construites en brique, avec de hautes cheminées. Elles remplacèrent les anciens bâtiments d’ateliers à trois ou quatre étages de la ville. En 1842, l’agglomération et ses environs possédait environ 120 usines et employait 17 000 ouvriers. Vers la fin du XIXe siècle, après la guerre de 1870, plus de 2 000 réfugiés alsaciens s’installèrent à Elbeuf parmi lesquels la famille Blin qui construisit la plus grande usine de la ville. Durant le XXe siècle la production demeura stable jusqu’à la seconde guerre mondiale mais, à partir de 1960, la plupart des usines textiles, comme dans beaucoup de régions, fermèrent. La dernière, l’entreprise Blin & Blin, cessa son activité en 1976.
Aujourd’hui Elbeuf possède un patrimoine industriel bien conservé dans l’ensemble : d’anciens ateliers et de nombreuses usines ont été restaurés et sont réutilisés. D’autres encore, en mauvais état, sont néanmoins protégés et seront restaurés plus tard.
Le site le plus important réhabilité et reconverti est l’entreprise Blin & Bliniv. Dans les années 1980, l’OPAC (Office public d’aménagement et de construction) du département de la Seine-Maritime, en collaboration avec la ville d’Elbeuf, y entreprit la réalisation de 175 logements sociaux ainsi que l’aménagement des espaces extérieurs. Les architectes Reichen & Robertv furent désignés pour mener à bien ce chantier considéré aujourd’hui comme un exemple intéressant de reconversion. Ces architectes se sont aujourd’hui en partie spécialisés dans la réhabilitation de bâtiments industriels des XIXe et XXe siècles et réussissent en général à garder un bon équilibre entre restauration et ajouts contemporains.
Le développement touristique d’Elbeuf est fondé aujourd’hui sur son patrimoine industriel. En été, de nombreuses visites et conférences sont organisées les samedis et les dimanches pour sensibiliser le public au passé industriel de la ville. Ce programme rencontre un succès considérable : beaucoup d’habitants de la ville et des environs qui, déjà informés de l’histoire textile de la cité à travers les récits de leurs familles, semblent particulièrement intéressés.
Le quartier Masséna à Paris
Dans le XIIIe arrondissement, au sud-est de Paris, au bord de la Seine, à proximité de la Bibliothèque nationale de France, s’est développé un nouveau quartier, le quartier Masséna (ZAC Paris-Rive Gauche), caractérisé dans le passé par un réseau complexe de voies ferrées (largement couvertes aujourd’hui) convergeant vers la gare d’Austerlitz et par quelques grands établissements industriels. L’architecte choisi il y a quelques années pour dessiner le plan de ce nouveau quartier fut Christian de Portzamparc.
Cette zone est destinée à devenir un quartier résidentiel et d’affaires ainsi qu’un centre universitaire et de recherche très important (université, école d’architecture, Institut français des langues orientales, antenne parisienne de l’université de Chicago, etc.). De nombreux immeubles nouveaux ont été construits mais deux anciens bâtiments industriels ont été conservés et réhabilités : Les Grands moulins de Paris et la SUDAC.vi
- Les Grands moulins de Paris : cette très grande minoterie, construite de 1917 à 1921 (architecte Georges Wybo) ayant cessé toute activité il y a une quinzaine d’années, a été conservée pour devenir la future université Paris VII-Denis-Diderot qui accueillera ses premiers étudiants en janvier 2007. L’architecte responsable de cette reconversion est Rudi Riccioti. Le bâtiment principal, d’environ 40 000 m2, comprendra une bibliothèque, des salles de cours, des bureaux administratifs et un restaurant universitaire. Le budget prévisionnel est de 43 millions d’euros. A côté, l’ancienne halle aux farines, construite en 1950 par l’architecte Denis Honneger (élève d’Auguste Perret qui a reconstruit la ville du Havre après la seconde guerre), accueillera une autre bibliothèque, des salles de cours et un autre restaurant. Cette halle est actuellement réhabilitée par Nicolas Michelin et Fin Geipel. (18 300 m2 pour un budget prévisionnel de 22 millions d’Euros). A proximité, un nouveau bâtiment est édifié pour loger des laboratoires et des services techniques.
- La SUDAC (Société urbaine d’air comprimé) : Cette usine fut construite à la fin du XIXe siècle pour produire de l’air comprimé distribué dans l’ensemble de la capitale. Ce site, protégé au titre de la législation sur les monuments historiques en 1994, accueillera en 2007 les 1 500 étudiants de la nouvelle école d’architecture Paris-Val de Seine (15 000 m2 et budget prévisionnel de 23 millions d’euros). Dominant l’ancienne halle aux compresseurs datant de 1891, belle structure métallique avec un remplissage de brique construite par l’ingénieur Joseph Leclaire, l’une des deux cheminées a été conservée. A côté, un nouveau bâtiment de sept étages a été érigé selon les plans de l’architecte Frédéric Borelvii.
Dans ces deux exemples, les commanditaires sont le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Culture, en partenariat avec la ville de Paris. Ces deux sites ont nécessité de lourdes interventions pour les adapter à leurs nouvelles fonctions et l’intérieur des bâtiments a été profondément modifié. Mais vues de l’extérieur, les façades ont gardé leurs anciennes apparences.
Le Bassin houiller du Nord-Pas-de-Calaisviii
Le bassin houiller du Nord de la France fut exploité pendant plus de deux siècles, de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XXe siècle. […] Après l’abandon des puits dans les années 1990, plusieurs d’entre eux furent protégés et parfois restaurés. L’association «Bassin minier Unesco», fondée en janvier 2003 dans la ville de Lens, prit alors la décision de monter un dossier de candidature du bassin minier en vue de son inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Il s’agit d’une candidature dans la catégorie «Patrimoine des paysages culturels évolutifs».
Cette région représente un territoire très vaste (plus de 120 kilomètres, le long du gisement de charbon) comprenant environ 250 communes et 1,2 millions d’habitants. Ce projet ambitieux mobilise depuis plusieurs années divers partenaires : l’Etat, le conseil régional, deux départements (le Nord et le Pas-de-Calais) et de nombreuses communautés minières. […]
En dépit de nombreuses destructions, une partie significative du patrimoine industriel du bassin minier existe encore. Il comprend :
d’anciens puits dont certains ont déjà été transformés en musées. L’exemple le plus connu est le Centre historique minier de Lewarde. Ce site a été, dès l’origine, conçu pour héberger les archives de la société des Houillères du Nord et est devenu le plus grand musée de la mine en France. D’autres sites ont été transformés en centres culturels comme à Loos-en-Gohelle. D’autres encore, comme Oignies, combinent les ambitions culturelles et administratives. […]. En 1992, lorsque l’exploitation cessa, la démolition du site était programmée, mais la population locale s’y opposa et réussit à le sauver. Aujourd’hui, grâce aux efforts de nombreux bénévoles, il est définitivement protégé au titre des Monuments historiques et en cours de rénovation.
Parmi les autres éléments patrimoniaux qui subsistent :
- de nombreux chevalements isolés ;
- environ 200 terrils, dont les hauteurs peuvent atteindre 180 mètres et qui marquent encore fortement le paysage. La population y est très attachée en tant que symboles des anciennes activités minières. Aujourd’hui la végétation naturelle s’y est développée et ils deviennent peu à peu de véritables espaces verts à l’intérieur de ces paysages miniers.
environ la moitié des logements ouvriers, les anciens «corons», ont été préservés. Ceux-ci représentent plus de 60 000 unités de logements. Pour leur plus grande part ils ont été rénovés ou sont en cours de rénovation. Ils étaient à l’origine exigus et dépourvus des éléments du confort moderne. Il était donc nécessaire de réfléchir à leur adaptation aux normes contemporaines. Dans la plupart des cas, l’extérieur des habitations a été préservé et l’intérieur remodelé. […]
Cette candidature du bassin minier en vue de son inscription sur la Liste du patrimoine mondial, est importante pour préserver le patrimoine industriel encore existant et pour changer l’image de cette région qui a été pendant très longtemps dévalorisée. La préparation du projet a mobilisé toutes les énergies. Le travail réalisé est positif et les efforts accomplis ne seront pas vains. Depuis ces dernières années, des «tours» du bassin minier ont attiré beaucoup de visiteurs intéressés par le tourisme industriel et de nouvelles activités économiques peuvent être imaginées.
En octobre 2005, un premier dossier a été soumis au ministère de la Culture mais cette candidature nécessite davantage de discussions et un examen plus approfondi. Il s’agit de la première étape d’une grande ambition.
Quelques autres exemples
- Les Grands moulins de Pantin
Dans le nord de Paris, les Grands moulins de Pantin ont été construits entre 1923 et les années 1930. En partie bombardés durant la seconde guerre, ils ont été reconstruits entre 1945 et 1948. Ils étaient considérés à l’époque comme la plus importante minoterie de la région parisienne. Lorsque l’activité cessa en 2001, un grand nombre de machines furent vendues à des pays en voie de développement et les murs à un promoteur. La valeur du site, 50 000 m2 à la marge de la capitale, est considérable. A la suite d’un concours d’architecture, le projet de l’agence Reichen & Robert a été choisi. Pour le moment, il semble qu’une partie seulement du site soit préservée. Des bâtiments modernes seront construits à l’emplacement de certains dont la démolition est programmée. Mais l’essentiel des façades des Grands moulins devrait être conservé.
- La fonderie de Mulhouse (Haut-Rhin)
Au début des années 1990, lorsque la fonderie de la SACM cessa ses activités, la question du devenir de cette friche industrielle fut posée et la décision prise de conserver le bâtiment pour y installer la faculté des sciences économiques, sociales et juridiques, un centre d’art contemporain ainsi que les archives municipales et la bibliothèque. La restructuration de ce bâtiment, véritable cathédrale de béton datant des années 1920, confiée à l’agence Mongiello & Plisson ix, servira de «locomotive» et de «vitrine» pour le réaménagement de tout un quartier de 12 hectares. Située à proximité des deux campus universitaires existants, du centre ville et de la gare, cette nouvelle faculté accueillera 2 000 étudiants d’ici quelques mois. Il s’agit d’une opération chère (budget de 36 millions d’euros), le bâtiment ayant été à l’abandon durant de longues années. […]
- L’arsenal de Brest (Finistère)
A Brest, plusieurs hectares de l’arsenal maritime (le plateau des Capucins) vont être cédés à la communauté d’agglomération. Celle-ci envisage de conserver les ateliers (3 hectares couverts) datant des années 1850, transformés par la suite et dans lesquels étaient usinées diverses pièces des navires de guerre. Le plateau serait réaffecté à de multiples fonctions, notamment culturelles. Bruno Fortier a remporté le concours d’architecture et les travaux devraient commencer en 2007. Cette réhabilitation d’un ancien site industriel sera l’une des plus grandes programmée en France.x.
CREATION DE NOUVEAUX MUSEES
La Cité de la mer, Cherbourg (Manche)
Après la première guerre mondiale, le trafic transatlantique connaissant un grand développement, Cherbourg devint le second port français pour les populations qui émigraient vers le Nouveau Monde, particulièrement pour celles venant de l’est de l’Europe (30 000 en 1922 et 300 000 en 1929 !). A cette période, les grands paquebots étaient obligés de s’ancrer au large et d’utiliser des navettes pour acheminer les passagers. En 1919, le projet de création d’un port en eau profonde fut décidé. Mais des difficultés financières expliquent que les travaux ne purent commencer avant le début de 1928. La construction de cette gare maritime transatlantique demanda trois ans de travail (12 000 m2 de bâtiments et une tour horloge de 67 mètres de hauteur). […] Elle futofficiellement inaugurée en 1931, à une période où le nombre des passagers était en très forte augmentation.
Durant la guerre, les installations réquisitionnées par les Allemands, furent en partie détruites après le débarquement allié. Mais en 1945, après la restitution du site par les Américains aux autorités françaises, un programme complet de restauration fut entrepris. Excepté la tour de l’horloge non reconstruite, la gare maritime transatlantique fut réparée, les travaux s’échelonnant de 1948 à 1950. La reprise du trafic durant la période de l’après-guerre fut de courte durée à cause du développement rapide du transport aéronautique commercial. A la fin des années 1960, malgré l’essor des liaisons par car-ferries avec l’Angleterre,l’ancienne gare maritime transatlantique et son terminal ferroviaire devinrent une charge trop lourde pour la chambre de commerce de Cherbourg qui envisagea de s’en débarrasser.
En 1979, certaines parties du site furent démolies. Mais dix ans plus tard cependant, ce qui restait de la gare fut protégé au titre des monuments historiques, comme témoin prestigieux du patrimoine architectural des années 1930. La gare fut sauvée d’une totale destruction et le projet de la Cité de la mer, initié par la communauté urbaine de Cherbourg, élaboré. Il visait à créer un musée maritime dans la gare rénovée. En 1996, le concours d’architecture fut remporté par Jean-François Milou et en 1999 les travaux de restauration débutèrent avec en parallèle la construction d’un nouveau quai et d’un pavillon pour les expositions. La Cité de la mer est donc en partie une opération de reconversion et en partie une nouvelle construction.
Inspirée par le désir de sauver l’ancien site et de présenter la grande épopée de la vie sous-marine, cet établissement touristique, scientifique et culturel a ouvert au public au printemps 2000.
L’une des principales attractions […] est le sous-marin nucléaire français, Le Redoutable. Lancé par le général de Gaulle en 1967, il fut le premier sous-marin […] symbolisant l’indépendance militaire française durant la guerre froide. Sa construction, dans les docks de Cherbourg, prit presque dix ans et employa 4 500 ouvriers. Après vingt ans de bons et loyaux services, le sous-marin retourna à Cherbourg en 1991. Son réacteur nucléaire enlevé, il est désormais installé dans un dock spécialement aménagé, le long du pavillon des expositions.
La Cité de la mer, qui connaît déjà un succès considérable (le musée a reçu son millionième visiteur durant l’été 2005), rénove actuellement une autre partie du site, l’ancienne salle d’attente des passagers. Espérons qu’une place importante sera donnée à l’évocation de ce que fut dans la première moitié du XXe siècle l’épopée de ces milliers d’immigrants européens, poussés par la misère, pour lesquels le port de Cherbourg était la porte d’entrée vers le Nouveau Monde. Actuellement, cette évocation de l’histoire du monument et du rôle joué par cette gare maritime transatlantique dans l’histoire de l’émigration reste très marginale.
La mine musée du carreau Wendel
Situé dans le bassin houiller de lorraine, à la frontière franco-sarroise, le carreau Wendel fut exploité durant plus d’un siècle (de 1866 à 1986). C’est aujourd’hui un site minier entièrement conservé. En 1988 lorsque l’activité minière a cessé, le site est devenu un CCSTI (Centre de culture scientifique, technique et industrielle). Dix ans plus tard, un musée a été créé avec le soutien du ministère de la Culture.
Situé dans un environnement impressionnant, comprenant encore les anciens bâtiments (lavoir à charbon, anciens puits d’extraction, terrils et maisons ouvrières), le musée présente l’histoire de l’extraction du charbon, l’évolution de ses techniques et la vie particulière du monde de la mine. D’anciens mineurs animent le musée et sont des guides très appréciés des visiteurs.
Durant l’été 2006 une nouvelle exposition La très étrange affaire du Carreau Wendel a été présentée au public, invité à participer à une enquête à rebondissements en vue d’élucider une mystérieuse énigme et découvrant à travers cette fiction l’environnement social de la vie des mineurs de 1850 à nos jours.
En novembre 2006, une galerie de mine reconstituée a été ouverte qui présente trois chantiers souterrains évoquant les différentes techniques d’abattage du charbon. Il est l'œuvre de l'architecte parisien Philippe Jean. Le chantier (11 millions d'euros) a été cofinancé par Charbonnages de France, le conseil général de Moselle et des fonds européens. Une nouvelle présentation du musée est également programmée pour le début de l’année 2008 ainsi que des ateliers pédagogiques destinés au jeune public.
CONCLUSION
Si cette présentation de la situation du patrimoine industriel en France semble, à travers cette synthèse, plutôt optimiste, c’est que la communication et le travail accompli dans l’étude, la sauvegarde et la mise en valeur de ce patrimoine commencent vraiment à porter leurs fruits, après plus de vingt cinq ans d’efforts. Depuis ces dernières années l’attitude des autorités locales et de la population envers la conservation et la réhabilitation des sites industriels a changé considérablement.
Les activités du CILAC, le travail effectué dans le domaine du patrimoine industriel par les services de l’Inventaire du ministère de la Culture et les actions menées par les diverses associations ont indubitablement joué un rôle important dans le changement des mentalités. Dans le passé, lorsque les usines fermaient, les sites étaient abandonnés et leurs dégradations ou leurs démolitions laissaient souvent les populations indifférentes. La situation est maintenant plus positive. La conservation des anciennes usines, qui témoignent d’activités industrielles passées et leur réutilisation pour de nouveaux usages, est plus largement acceptée et même encouragée. Beaucoup de collectivités locales sont intéressées par les anciens bâtiments industriels et certains architectes se sont aujourd’hui en partie spécialisés dans la réhabilitation de tels sites. Néanmoins cet optimisme ne doit pas faire oublier que de nombreux problèmes demeurent. Citons-en quelques uns : la moitié des départements français n’ont pas encore été inventoriés, des sites majeurs, fermés depuis plusieurs années et non protégés, ont été pillés de manière honteuse, certains autres ont été rasés sans état d’âme, parfois même alors qu’ils avaient été inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. La liste des destructions irrémédiables serait longue à dresser. D’autre part, le nombre de sites industriels protégés chaque année est très faible : en 2005 par exemple il a été inférieur à 2004 ! Enfin, nous pouvons continuer à déplorer le peu d’intérêt manifesté par les chefs d’entreprises dans le domaine de la préservation et de la mise en valeur de leur propre patrimoine industriel. Nous devons donc rester vigilants car il est très important que ce patrimoine ne soit pas dénaturé et demeure intelligible pour ceux qui le visiteront ultérieurement, y vivront parfois ou y travailleront de nouveau.
i www.inventaire.culture.gouv.fr/culture/inventai/presenta/publi.htm.
Une mention spéciale doit être faite ici du guide pour l’étude des sources du patrimoine industriel de Catherine Manigand-Chaplain : Les sources du patrimoine industriel, publié en 1999 par le CILAC et les Editions du Patrimoine.
iiSiège social à Paris ; secrétariat national : CILAC, BP 251, 56007 Vannes cedex
iii Atlas du patrimoine industriel de Champagne-Ardenne, Editions Scérén/CRDP/Champagne-Ardenne/APIC, Reims 2005
iv Emmanuelle Réal, «Réhabilitations textiles en Haute-Normandie », Traces, trajectoires et territoires, le devenir du patrimoine industriel textile, actes de la conférence présentée à l’abbaye du Valasse, Editions du pôle régional du textile-Cité des Matières, BP 70031, 76 170 Lillebonne, France ; Emmanuelle Réal, L’industrie et la ville, Elbeuf, XVIIe-XIXe siècles, L’Archéologie industrielle en France, n°38, Juin 2001.
vi Présentation du nouveau quartier, avec cartes et images www.sigu7jussieu.fr
vii www.paris-valdeseine.archi.fr
viii Geneviève Dufresne, «Le patrimoine des bassins houillers français», Patrimoine de l’industrie, Industrial Patrimony, n°8, 2002.
x L’Archéologie industrielle en France, CILAC 2004, n°45, décembre 2004, p.94-95