L’aqueduc de la Ravine du Gol à Saint-Louis
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03/08/2014 par dpr974
On le voit, non loin de la sucrerie du Gol, depuis la rue des Acacias, ou de la rue principale de la ville. Les Saint-Louisiens le connaissent certainement bien mieux que la plupart des Réunionnais. L’eau passait jusqu’aux années 1970/80 dans un canal qui enjambait la ravine par cet aqueduc. Ce canal reliait le lieu dit Gouvernail en rive droite de la Rivière Saint-Etienne à l’usine du Gol en traversant la ville. Il était alors une armature de la vie économique et sociale. Et les habitants vivaient dans la familiarité de cette eau qui courait ici et là à ciel ouvert.
Mais aujourd’hui, on passe souvent à côté de cet ouvrage d’art sans le voir vraiment ou de manière furtive. Cependant, il est bien là, depuis deux siècles (1). Avec ses beaux piliers. Comme nombre d’infrastructures du passé, il est un vestige de « l’irruption de l’industrie sucrière » (2) à La Réunion.
En effet, la maîtrise de l’eau était une nécessité pour le développement de l’industrie sucrière naissante au début du XIXème siècle. Dans toute l’île, et en particulier dans la région sous le vent à faible pluviométrie, ce développement s’est accompagné dans les années 1820/30 surtout, par la création de grands canaux à vocation industrielle, agricole et domestique. On a creusé dans la roche, fait des aqueducs ou des siphons… Pour la région sud, parmi les aménagements hydrauliques spectaculaires partant de la Rivière Saint-Etienne, on peut citer le canal Saint-Etienne courant jusqu’à l’usine de Grand-Bois et le canal qui mène au Gol, avec son bel aqueduc.
L’aqueduc de la Ravine du Gol date justement de cette période historique, qu’il s’agisse des premières réalisations – avec un canal en bois – qui seraient de 1816 ou des aménagements ultérieurs des années 1830 (3). « L’initiative du projet de dérivation des eaux de la rivière Saint-Etienne revient à MM. Couve et Deheaulme – propriétaires du domaine appartenant autrefois à Desforges-Boucher – secondés par Hyacinthe Murat et Frappier de Montbenoît en utilisant une main d’œuvre servile. L’aqueduc était intégré dans le canal supérieur appartenant à Couve » (4). Progressivement, en une vingtaine d’années, le paysage naturel et agricole se trouvait transformé avec le travail de nombreux esclaves. Les champs de blé, de maïs, de café de Saint-Louis cédaient la place à la canne. Les sucreries du Gol passaient au grand propriétaire Chabrier, ce qui peut expliquer des désignations qui peuvent varier à propos du canal grâce auquel la ville de Saint-Louis s’est développée (4).
(...)
On comprend que cet ouvrage exceptionnel pour les perspectives esthétiques et économiques qu’il ouvrait à l’époque ait pu retenir l’attention. Et on ne peut que regretter la négligence qui a affecté au long du XXème siècle ce vestige intéressant de notre patrimoine. L’actuelle canalisation rouillée menace de s’effondrer. La perspective des piliers est parasitée par une canalisation accolée à mi-hauteur ! L’accessibilité de l’ouvrage est peu engageante même si les abords sont mieux dégagés désormais. Mais l’aqueduc semble aujourd’hui sortir de l’oubli par la vigilance de citoyens et d’associations. Réjouissons-nous de l’intérêt nouveau qu’il suscite. La demande de classement de l’ouvrage (4), initiée par Jean-Paul Calteau, président de l’association ACPEGES vient de trouver son aboutissement dans l’arrêté du 14 Mars 2014 qui inscrit l’aqueduc au titre des Monuments historiques de La Réunion. Il reste à aménager ce lieu en privilégiant sa vocation historique, patrimoniale et paysagère. On pourrait, tout en préservant les écosystèmes, réaliser un parcours de découverte et de santé tout le long du canal (4). Car l’ouvrage charrie aujourd’hui encore l’histoire du sucre et des bâtisseurs qui ont changé au XIXème le visage de notre île.
Marie-Claude DAVID FONTAINE
1. Les datations et identifications des éléments se rapportant à cet aqueduc, appartenant au domaine privé, varient selon les auteurs dans les quelques documents disponibles.
2. Xavier Le Terrier, Histoire des usines sucrières de la seconde moitié du XIXème à La Réunion, Mémoire de DEA, 2000. L’auteur évoque à l’origine deux canaux et dit de l’aqueduc : « il semblerait dater en partie de 1816 ». A noter un récapitulatif des propriétaires du Gol dont Chabrier en 1825.
3. Le site de la ville de Saint-Louis évoque un ouvrage en bois « créé par H. Murat entre 1816/17 pour les frères Couve » et remplacé vers 1835. En service jusqu’à 1970. Fermé en 1985.
4. Jean-Paul Calteau, président de ACPEGES, que nous remercions pour les informations aimablement communiquées, résultat d’un volumineux travail – sur le canal et l’aqueduc – remis à la DAC avec la demande de classement de ces ouvrages d’art. Dans une interview au Quotidien (24/05/2012) il évoque l’histoire du Canal Couve-Deheaulme ou Canal Chabrier pour la mémoire populaire. Il fait cette proposition de valorisation historique avec un sentier le long du canal de Saint-Louis à l’Etang-Salé.
5. P.P.U. Thomas, commissaire de marine-ordonnateur (fonction administrative) à Bourbon dans les années 1820 a publié Essai de statistique de l’île Bourbon considérée dans sa topographie, sa population, son agriculture, son commerce etc. , 1828, (Prix de l’Académie Royale des sciences).
6. Album de Roussin, (1856-1886), Antoine Roussin, Volume III, Article : Saint-Louis.