Aujourd’hui, ce sont des transformations d’un tout autre genre qui menacent cette « cathédrale de fer » (ill. 4, 5 et 6). La Poste, dont l’activité a été largement bouleversée par le numérique a en effet décidé de réorganiser ses services et de restructurer l’espace qu’ils occupent. Sur les quelque 35 000 m² qu’offre le bâtiment, les activités postales ne devraient plus s’étendre que sur 10 000 m² environ. Qu’adviendra-t-il du reste ? Ô surprise : un hôtel de luxe. Il devrait investir le dernier niveau et la toiture, soit 7 200 m², offrant à ses clients un jardin et une terrasse. Les valeurs patrimoniales ne font guère le poids face aux valeurs foncières. Des commerces (2 300 m²), des bureaux (10 000 m²) et des logements sociaux (1 200 m²) - inévitables car ils servent à justifier l’opération immobilière - occuperont le reste de l’espace. Comment résister aux sirènes d’une rentabilité à court terme ?
Voilà donc un édifice bientôt doté de nouvelles fonctions aussi multiples que disparates. Quelqu’un a-t-il défini les capacités de ce bâtiment avant de déterminer le programme de son utilisation future ? Cela aurait évité au maître d’ouvrage de reprocher à l’architecture de Guadet, d’être ce qu’elle est. Sans rire, on se lamente de sa « rigidité monolithique » qui vient « contrarier » la composition du quartier.
C’est Dominique Perrault qui a remporté en juillet 2012 le concours lancé par Post Immo. Quant au jury, on sait qu’il était présidé par Jean-Paul Bailly et comprenait des membres du Comité exécutif du groupe La Poste, des politiques également - Anne Hidalgo et Jean-François Legaret - ainsi que quatre mystérieux architectes dont les noms ne seront pas « révélés, pour des raisons de confidentialité. » (comme nous l’a dit très sérieusement la direction de la communication de la Poste...). Qui représentait donc les intérêts patrimoniaux de la Ville de Paris ? Anne Hidalgo ? Tout s’explique alors, elle qui n’a pas l’air d’aimer la IIIe République, en témoigne la malheureuse place de la République vandalisée. Marie-Jeanne Dumont, architecte et historienne1, regrette que le secrétaire général de la commission du Vieux Paris n’ait été invité à faire partie du jury du concours. La commission a d’ailleurs protesté contre le projet de restructuration tel qu’il apparaissait dans les documents communiqués, mais son avis n’est que consultatif.
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L’Association Paris historique s’est opposée à ce projet, d’abord en diffusant une pétition (que nous vous engageons à signer) et en organisant une journée d’études le 7 novembre 20132 – au cours de laquelle les maîtres d’ouvrage ont brillé par leur absence. Elle a aussi entrepris un recours gracieux afin d’annuler le permis de construire délivré le 15 novembre 2013, avant de demander une instance de classement de la poste du Louvre. Le ministère a répondu la semaine dernière dansune lettre que l’on peut résumer ainsi : « pas coupable, pas responsable » :
« S’agissant des modifications extérieures, qui concernent principalement les baies et les couvertures, déjà fortement reprises après un incendie, dans les années1980, l’architecte des bâtiments de France a estimé, dans le cadre de sa compétence au titre des abords de monuments historiques [la Place des Victoires] et du site inscrit de Paris, qu’elles pouvaient être acceptées, et a donné son accord au projet.
Les modifications intérieures ne relevaient pas […] de la compétence de l’architecte des bâtiments de France. S’agissant de la structure métallique des allées de tri, des éléments significatifs seront conservés et remployés dans le cadre du projet. […]
En résumé, les modifications projetées, validées par l’architecte des bâtiments de France pour ce qui concerne les extérieurs, ont été considérées comme acceptables et équilibrées, au regard de l’importance du projet. L’adoption d’une instance de classement ne paraît donc pas justifiée. »
Comment le ministère peut-il se cacher derrière l’architecte des bâtiments de France qui n’a en l’occurrence aucun pouvoir sur les modifications intérieures de l’édifice, celui-ci n’étant ni inscrit, ni classé, comme le rappelle Pierre Housieaux ? La poste du Louvre ne bénéficie que d’une Protection de la Ville de Paris (PVP) créée dans le cadre du PLU de 2006. Marie-Jeanne Dumont affirme qu’il s’agissait « d’une politique très ambitieuse, intégrant des édifices de nature différente, anciens et modernes, historiques ou anonymes, au centre et en périphérie. Aujourd’hui pourtant la Ville semble vouloir s’en remettre aux seuls services de l’État pour la protection du patrimoine parisien. Les PVP sont appliquées a minima, soumises à interprétations et négociations. »
Difficile aujourd’hui de monopoliser les foules pour défendre un bâtiment dont personne ne connaît la partie la plus extraordinaire. Il aurait fallu que la Poste accepte d’ouvrir l’accès au public à l’occasion des journées du patrimoine, ce qu’elle n’a évidemment pas fait. Avec la bénédiction du ministère, les travaux de restructuration du bâtiment de Guadet devraient donc commencer prochainement. Doit-on rappeler, que l’instance de classement est une décision politique et non pas administrative ? Elle dépend de la seule volonté du ministre de la culture. Mais celle-ci est trop occupée, manifestement, à faire respecter la parité à tous les postes de direction pour s’occuper de la protection des monuments historiques.
http://www.latribunedelart.com/la-poste-du-louvre-ne-sera-pas-classee-mais-elle-sera-cassee