La Région et la SNCF envisagent de raser cet ouvrage unique de métallurgie bâti en 1889. Au profit d’un garage à TER et au mépris de sa protection au titre d’élément architectural remarquable.
Un emblème historique et rare du patrimoine ferroviaire est menacé de destruction. Loin des regards, à l’abandon au bout de la gare Saint-Charles, la rotonde Pautrier construite en 1889 pour le remisage, l’entretien et le pivotement des locomotives à vapeur de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM) pourrait disparaître d’ici 2017, engloutie dans un projet de réaménagement de la gare Saint-Charles.
« L’idée c’est de réaliser six voies de remisage pour le TER à la place de cette rotonde qui ne présente pas d’intérêt patrimonial », nous avait répondu Olivier Monnot, directeur régional délégué au TER, le mois dernier, confirmant une rumeur installée. « Il s’agit de libérer de la place », reconnaissait Philippe Bru, le directeur régional de la SNCF, confronté aux difficultés réelles d’espaces de stockage et de maintenance. La rotonde n’étant plus adaptée au matériel, vient l’option abrupte de la détruire, le tout en concertation avec la Région, en charge des transports ferroviaires.
Aux bulldozers donc, ce chef-d’oeuvre remarquable et spectaculaire hérité de l’ingénierie métallurgique du Second Empire et qui a servi de bercail aux motrices diesel jusqu’à la fin des années 2000. Aux oubliettes aussi, la double protection patrimoniale, celle du plan local d’urbanisme qui la protège au titre des « éléments architecturaux remarquables isolés » et celle des abords de monuments historiques puisque dans le périmètre du Palais Longchamp et du Pavillon du partage des eaux. La rotonde d’Avignon signée bien plus tard en 1946 vient, elle, d’être inscrite en 2012 à l’inventaire des Monuments historiques. « La rotonde de Marseille est digne d’être sauvegardée. Elle trouve sa place pour une protection aux Monuments historiques », explique-t-on au ministère de la culture (lire ci-dessous).
L’étoile ferroviaire de la gare Saint-Charles est intacte. Seule sa coupole centrale a été supprimée en 1922. Son pont tournant ne semble plus marcher. Isolée dans cette gare « en cul-de-sac », interdite d’accès, elle reste pourtant un modèle unique de la Compagnie du PLM, conçue pour succéder à un système de petites plaques tournantes déjà ingénieux mais dépassé par le boom du trafic de voyageurs à la fin du XIXe siècle. De 90 mètres de diamètre, la rotonde Pautrier (du nom de la rue voisine) pouvait recevoir 54 machines. Elle était dotée de soutes à charbon, de cuves à lessive et d’une grue de levage des essieux. A l’époque, il était indispensable de vider régulièrement les cendriers des locomotives, de les graisser, de les laver à l’eau du canal de Marseille. Sa jumelle d’Alès a été détruite en 1960.
« S’il faut la détruire, on la détruira »
Circulaire alors que beaucoup de rotondes françaises étaient en demi lune, le « faisceau » Pautrier comporte 32 emplacements avec fosses d’entretien éclairées en lumière zénitale. Elle est dotée de hottes d’aspiration rapide des fumées par d’ingénieux déflecteurs. Sa charpente métallique associe la pierre, la fonte, le bois et la tuile. C’est un véritable mécano de colonnettes, d’arbalétriers et de sous-arbalétriers. Pour Emmanuel Laugier de l’Atelier du patrimoine de la Ville de Marseille qui l’a étudiée en 2003, « si la destination première n’est pas esthétique, l’économie des moyens et la justesse des proportions en font des pièces attractives et séduisantes pour le spectateur. Le bâtiment devient esthétique par sa rationalité ».
« Pour nous ça urge. On a besoin d’espace, c’est important. On n’a pas le choix. S’il faut la détruire, on la détruira. Je préfère répondre aux besoins des usagers », tranche Jean-Yves Petit, vice-président du conseil régional délégué aux transports. Sa collectivité a investi 270 millions d’euros dans les TER dont 40 dans un plan pluriannuel pour les équipements de remisage. Et sa protection inscrite au PLU dans tout ça ? « Heu... le projet est encore à l’étude. On va prendre en compte ce que vous venez de m’apprendre », bredouille l’élu écolo. « Pautrier nous est apparu très vite comme stratégique », reconnaissent ses services aiguillés sur ce site par la SNCF. D’avancer un autre argument bien singulier : ce projet permettrait de « préserver un foncier rare en plein centre-ville de toute velléité autre que son usage ferroviaire ». « Le plus simple serait probablement de la détruire, elle est des plus classiques, c’est plus un élément de nostalgie que d’architecture remarquable », lance-t-on à la Région qui avoue : « Cela va être un sujet difficile... »
à ce jour, selon les Affaires culturelles, « aucun projet de démolition n' a été porté à la connaissance des services patrimoniaux de l’État ».
David COQUILLE et Mireille ROUBAUD