Paru dans le Monde du 4 décembre 2013
Uniqlo transforme la dernière usine du Marais en temple du vêtement
LE MONDE | 03.12.2013
Il y a quelques années, les promoteurs auraient sans doute tout supprimé. Les fours, les meules en fonte, la cheminée de brique rouge. Au prix du mètre carré dans le Marais, quelle belle opération immobilière !
Au 39, rue des Francs-Bourgeois, dans le 4e arrondissement de Paris, l'usine de la Société des cendres construite au milieu du XIXe siècle ne va pourtant pas disparaître. Onze ans après avoir cessé de fonctionner, elle est en train d'être transformée en temple du vêtement par Uniqlo.
Ouverture prévue en avril 2014. Sur place, le géant japonais de l'habillement prend soin de garder bien visibles les traces du passé. « On ne touche surtout pas à l'atmosphère de ce lieu, confirme-t-on chez Uniqlo. C'est ce qui nous a attirés ici ! »
L'endroit est effectivement unique. Derrière sa façade classique se cache une usine pas comme les autres. Des « laveurs de cendres » y œuvraient. Ce métier méconnu consiste à traiter les déchets des bijoutiers et joailliers, afin de récupérer l'or, l'argent ou encore le platine qui s'y trouvent mêlés à toutes sortes de poussières.
UN HAUT-FOURNEAU AU SOUS-SOL
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, cette activité était confiée à des professionnels. Mais les orfèvres et autres bijoutiers parisiens trouvaient le service mal effectué et trop coûteux. En 1859, ils choisissent donc de s'occuper eux-mêmes des rognures et autres limailles minutieusement récupérées dans leurs ateliers, et créent à cette fin la Société des cendres.
C'est une sorte de coopérative, dont les clients sont aussi les actionnaires. Le bâtiment tel qu'il existe aujourd'hui a été construit pour cette jeune société en 1867. A l'époque, les grands bourgeois du Marais étaient partis pour le faubourg Saint-Germain et le quartier avait été livré à l'industrie.
L'immeuble sur rue, avec son bel escalier en spirale et les pièces qui servaient de bureaux, présente tous les traits d'un hôtel particulier. Mais le sous-sol était occupé par un haut-fourneau et des meules. Au rez-de-chaussée se trouvait un autre four, dans un grand atelier doté d'une charpente métallique et coiffé d'une verrière.
Les bijoutiers venaient avec des sacs de 50 à 500 kilogrammes contenant la poussière ramassée les mois précédents. Ces déchets étaient brûlés, puis les cendres étaient broyées. Ces résidus étaient ensuite tamisés, lavés et traités au mercure.
Les matières précieuses étaient alors séparées, puis agglomérées en lingots. « Pendant tout ce temps, les clients étaient là, à surveiller ce que devenait leur poussière contenant de l'or ou de l'argent », se souvient Gilbert, un ancien « cendrier ».
L'activité s'est poursuivie quasiment sans changement jusqu'au début du XXIe siècle. « Elle a occupé jusqu'à 100 personnes lorsque nous traitions les pellicules Kodak argentiques, raconte Gilbert. En 2002, on a terminé à vingt-cinq. »
La Société des cendres existe toujours. Mais elle s'est reconvertie dans les alliages et autres produits pour les dentistes, et a déménagé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Laissant à Uniqlo un espace libre de cachet.
Denis Cosnard Journaliste au Monde
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Voir également l'annonce de l'exposition.