Alexandre Melissinos, spécialiste des secteurs sauvegardés, ne mâche pas ses mots : "L'Etat se déshabille mais le strip-tease n'est pas très séduisant. On n'aura plus aucun contrôle national sur des espaces d'intérêt national. Si cela se négocie entre le maire et le préfet, j'imagine le pire. Il y a non seulement une sous-protection des monuments historiques mais aussi une absence de critères sur ce qui est pris en compte. On banalise le tout, on essaie de mettre les espaces exceptionnels dans l'esprit du plan local urbain (PLU)."
Quel sort réserve-t-on au patrimoine ? Un rappel historique s'impose. Tout commence en 1837 avec Prosper Mérimée qui arpente la France pour recenser son patrimoine et fait protéger 900 monuments. La loi de 1913 précise deux niveaux de protection, le classement et l'inscription, moins contraignante. Au fil des décennies, l'Etat complique le dispositif pour mettre à l'abri de la destruction des ensembles urbains, et multiplie les règlements. L'heure est à la simplification.
"Il s'agit d'intégrer la protection patrimoniale dans le droit de l'urbanisme, plaide Philippe Barbat, conseiller patrimoine d'Aurélie Filippetti. Il faut que la protection patrimoniale s'impose dès la conception d'un projet et non pas lorsqu'il est monté. On voit ce qui s'est passé en France dans les années 1970." La disparition des Halles de Victor Baltard (1863), rasées au cœur de Paris, joyaux du XIXe siècle, demeure un traumatisme.
600 MONUMENTS EN PÉRIL
Si le projet de loi est adopté, fini les secteurs sauvegardés, créés en 1962 par André Malraux, les 104 centres historiques protégés aujourd'hui (Le Marais, le septième arrondissement à Paris...). Terminé les 678 zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysage (ZPPAUP), et les 30 aires de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP).
Un unique document, le plan local d'urbanisme patrimonial (PLU patrimonial), s'imposera dans la Cité historique. A moins que, en option, la commune établisse un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) plus précis où est décrit, immeuble par immeuble, le territoire à préserver. Des documents élaborés par les communes et enrichis par les architectes et les urbanistes, et qui seront présentés en Commission régionale, où siège l'Etat, pour un avis consultatif. L'architecte des bâtiments de France (ABF) conserverait ses prérogatives mais ses délais d'intervention sont ramenés de quatre à deux mois.
Le "label XXe" – 2 700 édifices en bénéficient – sera reconnu par la loi, ce qui permettra d'éviter les disparitions d'édifices majeurs, répertoriés mais non protégés. Enfin, l'intégrité des domaines nationaux (Saint-Cloud, Versailles), dont les terrains ne bénéficient pas aujourd'hui d'une protection d'inaliénabilité, sera établie.
Quels moyens pour sauvegarder nos monuments ? Aucune mesure supplémentaire n'a été annoncée dans le cadre de la loi. En 2007, le bilan sanitaire du parc monumental français, réalisé par le ministère de la culture, sonnait l'alerte en répertoriant quelque 600 monuments en péril, soit 4 % de l'ensemble. Le bilan 2012, en cours de rédaction, ne note pas d'amélioration sur ce point. En revanche, sur les 14 546 monuments classés, 70 % seraient dans un état passable, voire "en bon état", contre 50 % en 2007.
"Avec une ligne de 300 millions d'euros par an de crédits pour l'entretien et les travaux, indique Vincent Berjot, directeur des patrimoines au ministère de la culture, sans compter les gros travaux pluriannuels – sur le quadrilatère Richelieu, le château de Versailles... –, on arrive à faire ce qu'il y a à faire." Le vrai sujet, pour lui, est "celui du cofinancement de l'Etat avec les collectivités locales qui souffrent en ces temps de crise." Cet apport public représente entre 30 % et 40 %, parfois 50 %, du montant des travaux.
Quel que soit l'état des finances publiques, "l'Etat ne doit pas remettre en cause le niveau des crédits en faveur des monuments, ni lever le pied dans sa mission de classement", martèle Jean-Jacques Aillagon. Pour palier les dépenses exceptionnelles sur certains monuments phares, comme le château de Versailles, l'ancien ministre de la culture, qui a fait voter, en 2003, la loi Mécénat, suggère que "tous les deux ans, l'Etat dresse une liste de dix monuments d'intérêt national à sauver". Les dons bénéficieraient d'une réduction d'impôts de 90 %, comme les trésors nationaux.
La conférence de presse d'Aurélie Filippetti sur la politique du patrimoine : www.culturecommunication.gouv.fr