Une réalisation en béton armé menacée à Fontainebleau

On a beaucoup parlé de Freyssinet mais d'autres réalisations et architectes mériteraient une égale attention. 

Source : le Moniteur : voir sur le site le texte et les photos.

http://www.lemoniteur.fr/157-realisations/article/actualite/19333794-patrimoine-moderne-la-halle-du-marche-de-fontainebleau-sera-t-elle-demolie

Promise à destruction dans le courant de l’été 2013, la halle du marché couvert de Fontainebleau (Seine-et-Marne) apparaît comme un chef d’œuvre d’élégance structurelle qui doit être préservé.


Le patrimoine moderne en béton fait grise mine. Peu prisé des édiles qui le connaissent mal, ces derniers préfèrent le plus souvent le réduire en poussière… A preuve la démolition annoncée pour l’été prochain de la halle du marché couvert de Fontainebleau, une réalisation due à l’un de ses enfants, l’ingénieur-constructeur Nicolas Esquillan (1902-1989).

Un record inégalé

Si l’architecte Henri Bard (1892-1951) en est le signataire, le véritable auteur de cette halle est en effet Nicolas Esquillan. Peu connu du grand public, il est avec Eugène Freyssinet (1879-1962) et Albert Caquot (1881-1976), l’un des plus grands maîtres de l'école française du béton armé. Son anonymat s’explique aisément : directeur technique des établissements Boussiron, il n’a « signé » aucune œuvre de son nom. Figurent pourtant parmi elles un record inégalé à ce jour : celui de la voûte mince du CNIT de Paris-La Défense, avec ses 238 mètres de portée, un ouvrage réalisé il y a plus de cinquante ans…

Une « première »

En plus de ses talents d’ingénieur, Nicolas Esquillan s’est toujours montré extrêmement soucieux de la qualité et de l’aspect de ses réalisations. La finesse de la couverture de la halle de Fontainebleau, tout comme sa légèreté, sont remarquables, de même que la lumière filtrée par des dalles de verre. Et si Freyssinet a été le premier à construire des voûtes sans nervures, notamment pour les hangars à dirigeables d’Orly (1923) ou le marché du Boulingrin à Reims (1929), il n’a jamais réalisé une voûte aussi plate (2,38 m de flèche) sans nervure inférieure. En ce sens, le marché de Fontainebleau constitue bien une « première » constructive.

Le précédent du Boulingrin

Le respect de l’œuvre construit de Nicolas Esquillan, autant que celui du patrimoine moderne, commande sa préservation. C’est le sens d’un courrier adressé le 22 octobre par Bernard Marrey (directeur-fondateur des éditions du Linteau et Grand prix de la critique d’architecture en 1983) à Aurélie Filippetti, actuelle ministre de la Culture, pour lui rappeler le précédent du marché du Boulingrin à Reims, tout récemment restauré, après avoir été lui aussi promis aux pelleteuses et classé aux Monuments historiques par décret de Jack Lang en janvier 1990… 

 

FOCUS Une brève histoire de la halle…

A la fin des années 1930, le sénateur Jacques-Louis Dumesnil, élu à la mairie en 1935, souhaite construire une halle en centre-ville. Un concours retient le projet de l’architecte Henri Bard (1892-1951) inspiré, dit-on, du marché couvert de Nice. Le projet fut néanmoins jugé trop onéreux. Et survint la guerre... Fin 1940, la municipalité persiste dans ses intentions et consulte plusieurs entreprises. Le projet des établissements Boussiron est alors retenu : en simplifiant la structure, il était à la fois plus élégant et moins cher. Fidèle, en effet à son principe de transmettre les efforts selon le plus court chemin, Esquillan propose d’alléger l’ouvrage en réduisant le nombre des piliers. La dalle de couverture, épaisse de 6 à 8 centimètres, est portée par des nervures de 28 cm d’épaisseur et de 50 à 75 cm de hauteur. Toutes sont situées sur sa face supérieure, si bien que la couverture est entièrement dégagée en sous-face, que des pavés de verre ponctuent pour en éclairer l’intérieur. Des variantes avalisées alors par Henri Bard et le Conseil municipal.