LES INDUSTRIELS ET LA COMMANDE PHOTOGRAPHIQUE EN FRANCE AU XIXème SIECLE.
Tel est le thème de la journée d'études qui s'est tenue au Musée d'art moderne de Saint-Etienne, le lundi 11 juin 2012.
L'initiative en revenait à Danièle Méaux, professeur en esthétique et sciences de l'art, membre du Centre Interdisciplinaire d'Etudes et de Recherches sur l'Expression Contemporaine (CIEREC, Université de Saint-Etienne), et à Martine Dancer, conservatrice du patrimoine au musée.
La commande photographique industrielle est un domaine encore peu exploré, alors qu'il existe en la matière une documentation abondante et juqu'à nos jours peu explorée pour elle-même, la photographie (souvent professionnelle) n'étant souvent utilisée que pour illustrer des ouvrages d'étude ou de vulgarisation historiques.
L'initiative stéphanoise a eu pour origine l'acquisition d'une importante partie de fonds Paul Martial, 1828 photos sur les 40 000 réalisées entre 1927 et 1960 pour des donneurs d'ordre désireux de réaliser des catalogues pour leur clientèle.
Les auteurs, généralement anonymes, ont manifestement cherché à produire des oeuvres à la fois esthétiques et signifiantes, dont Anne-Cécile Callens, doctorante au CIEREC, propose un classement selon quatre thèmes principaux : l'homme au travail, la machine, l'objet, le produit du travail.
Nicolas Pierrot, de l'Université de Paris I, auteur d'une thèse sur les images de l'industrie au 19ème siècle, expose un bilan historique et les nouveaux enjeux pluridisciplinaires des études sur "la photographie parmi les images de l'industrie" : on peut en effet redécouvrir de nombreuses photos, dispersées, parfois oubliées dans des fonds de placards ou les archives des entreprises. Les désindustrialisations des années 60 et suivantes ont été maintes fois l'occasion de ces trouvailles. A partir des années 70, l'idée de sauvegarder, recenser, redécouvrir les images du patrimoine industriel a été stimulée par l'ouvrage fondateur de M. Daumas qu'a été "l'Archéologie industrielle en France", et par la revue de CILAC.
M. Pierrot raconte quelques unes des découvertes majeures qui ont comblé de bonheur le chercheur de terrain : ainsi dans l'Essonne, le cas des papeteries Darblay, dont les photos, échappant à la destruction des archives, permettent de reconstituer toute l'histoire. De même, les grands moulins de Pantin, dont les images sont même commentées, et les établissements Schneider et Compagnie.
Mais cela intéresse-t-il l'historien de l'Art ? Le motif industriel a-t-il été l'objet d'un nouveau mode de représentation ? Comment l'historien de l'art et celui des techniques industrielles seront-ils disposés à se comprendre mutuellement ?
Cécile Assegond, doctorante à l'Université François Rabelais de Tours, nous fait remonter à la commande photographique industrielle au 19ème siècle. Le terme de "photographe industriel" apparaît pour la première fois en 1856, mais c'est seulement en 1887 qu'il a figuré dans le Bottin du commerce parisien. Mais on se rend compte qu'il peut aussi bien s'agir de traitement d'épreuves photographiques que de prises de vues (pour l'architecture, les travaux publics, ou l'industrie).
L'après-midi, Dominique Versavel, conservatrice du Département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale, présente les collections de son établisement. Beaucoup d'images conservées émanent de l'industrie, sans pour autant représenter uniquement des versements au fonds légal, lorsqu'il s'agit de dépôts privés répondant à des commandes privées.
Une importante collection des reportages photographiques sur l'industrie a été commandée sous le régime de Vichy.
Quant aux archives de la Documentation française (commandes pour renseigner l'Etat ou pour finalités pédagogiques), elles sont aux Archives Nationales.
Agnès Goudail et Jean-François Lafaye exposent les ressources des archives départementales de la Loire ; le premier fonds d'entreprises y est entré en 1960 ; il y a aujourd'hui 63 fonds d'entreprises (qui occupent 4,5 kilomètres de rayons...), dont une partie seulement comprend des photos.
Ce qui vient de Creusot-Loire est conservé par le CERPI (vallée du Gier).
Alain Michel (Université d'Evry) présente la commande photographique de Renault (rappelant qu'avant sa période de célébrité, Doisneau a été photographe de l'entreprise (1934-1939).
Thérèse Bisch, conservatrice du Musée d'histoire contemporaine de Paris, présente des images faites par Noël Le Boyer (1883-1967), artisan photographe parisien qui a oeuvré dans des domaines très divers, et en particulier réalisé pour la SNCF les photos décorant les compartiments de voyageurs. Acheté par l'Etat, l'essentiel du fonds photographique, inventorié et classé, est conseré aux archives photographiques de la médiathèque de l'architecture et du patrimoine.
Anonyme XXème siècle, "Roue en acier dans une usine Schneider", vers 1930. Papier baryte au géatino-argentique. 18 x 24 cm © Droits réservés. Collection du Musée d'Art Moderne de Saint-Etienne Métropole.
Conclusions
On peut débattre à l'infini de la question : la photo est-elle art, ou document ? Dans les deux cas, il faut qu'elle ait un sens :
- par rapport à ce qu'elle montre
- du fait de son contexte : qui l'a faite ? pouquoi ? pour qui ?
- que dit-elle de l'idéologie et de l'esthétique du moment ? Que voulait-on dire à la société à travers elle ?
Notons en passant que la photographie n'a été enseignée à l'Ecole des Beaux arts de Paris que depuis 1976.
On peut dire que le photographe devient ARTISTE quand il est SIGNATAIRE de son oeuvre : comme Doisneau après son renvoi de chez Renault. Les photos qu'il y a faites étaient signées....de l'entreprise. Et c'est souvent ainsi, car elle se nomme à l'intention du marché ; si elle est entreprise de photographie, c'est pour avoir d'autres commandes. L'opérateur photographe n'est alors que technicien, donc anonyme.
Quand apparaissent les droits d'auteur, il y a de surcroît un enjeu économique...
Cette journée d'études, soutenue par la Région, par Saint-Etienne-Métropole, par les Universités de Saint-Etienne, Lyon, Paris, a été la première étape d'un projet de longue haleine, dont les temps forts à venir sont : la présence du fonds Paul Martial aux expositions de photos industrielles à Wuppertal, puis aux Etats-Unis, sans laisser de côté un projet stéphanois dès 2013, mais de plus grande ampleur en 2016. Donc, à suivre...