Retour sur l'affaire du pont de Martigues
Lire l'article (avec le point de vue de Bernard André - Cilac)
Publié le samedi 10 mars 2012
http://www.laprovence.com/article/martigues/le-pont-tournant-est-parti-a-la-casse
Incroyable et dramatique destin. Tandis que l'État répare et donc sauve le viaduc, le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) a fait détruire l'ancien pont tournant de Ferrières et l'a revendu à un ferrailleur comme on se débarrasserait d'une voiture à la casse. Personne n'a rien fait pour empêcher cela. Ni la Mairie, ni la Direction Régionale des Affaires Culturelles (Drac) Paca. Lorsqu'en 1998, après que Paul Lombard a pris un arrêté de péril pour le faire déposer sur le quai Verminck et faire construire en lieu et place l'un des deux ponts bleus, de nombreuses voix se sont élevées. À commencer par nombre de Martégaux, au premier rang desquels Jean Balique, aujourd'hui disparu, qui était le président du Comité d'études économiques et sociales. Ils avaient été entendus par la Ministre de la Culture, Catherine Trautmann, qui "avait mandaté un expert sur place afin d'examiner la procédure de démontage et me rendre compte de son état de conservation et de son intérêt patrimonial, avant que ne soit étudiéedéfinitivement la procédure de remontage à laquelle s'est engagé le Port autonome." Le Préfet avait également écrit que "cette passerelle sera déposée et non détruite".
Pour le sous-préfet Fromion, les choses étaient claires : "Le pont doit être déplacé pour des raisons de sécurité mais, vu son intérêt pour le patrimoine, il n'est pas question de le détruire". Enfin, la Drac Paca avait confirmé que "cet ouvrage représente un intérêt dans l'histoire des techniques. Il reste le seul de cette série encore en place en France sans avoir été transformé." De belles paroles qui n'ont finalement trouvé aucune traduction concrète. Et la Drac se justifie aujourd'hui en expliquant que "la sauvegarde de cet édifice aurait nécessité des coûts importants qu'aucun partenaire n'était en mesure de soutenir. C'est la raison pour laquelle l'État n'avait alors pas mis en oeuvre de procédure juridique de protection." Seule reste aujourd'hui la mémoire visuelle de l'ouvrage car une campagne photographique avait été réalisée à la demande de la ministre
Bernard André, président (sic) du Comité d'information et de liaison pour l'archéologie, l'étude et la mise en valeur du patrimoine industriel (Cilac), était, en 1998, un ardent défenseur du pont. Il avait assisté à son démontage, à la demande de la Ministre de la Culture. "Personne de la Drac ne s'était même déplacé pour venir me rencontrer, se souvient-il. Il avait été envisagé de le mettre dans un musée, à l'époque, mais ça n'a pas de sens. Nous étions déjà opposés à sa dépose sur le quai Verminck. Il y a une grande ambiguïté de la part du Ministère de la Culture qui émet des souhaits mais ne prend aucune mesure juridique. Ce pont aurait dû, a minima, êtreclassé mais pluspersonne ne s'est préoccupé de ce qu'il devenait." Effectivement, l'ouvrage était devenu la poubelle des pêcheurs. "Le démonter, c'était le condamner, reprend-il. Son destin était inévitable."
Un cas symptomatique d'un paradoxe français : "Il y a une vraie culture de l'ingénierie des ponts en France mais pas de dimension patrimoniale et donc aucune mesure de protection, contrairement aux Anglais et aux Américains, qui sont capables de les conserver." Le pont tournant en fer puddlé avait été construit en 1860 avec des poutrelles assemblées à l'aide des touts premiers rivets de l'industrie française (voir photos sur lespontsdemartigues.overblog.com). Appuyé sur une pile centrale de pierre, il avait été utilisé pour le trafic routier jusqu'en 1949 et piéton jusqu'en 1975. Il mesurait 50 m de long, pesait une centaine de tonnes. Le ferrailleur aurait déboursé 18 000 euros environ. Aujourd'hui dans la ligne de mire des pelleteuses du Grand Port (qui n'a pas souhaité répondre à nos questions) : l'ancienne usine Verminck qui a abrité la plus grande huilerie-savonnerie du monde au milieu du 20e siècle. La Ville, qui brigue le Label Ville d'art et d'Histoire, va-t-elle, là encore, laisser faire ?
Audrey LETELLIER